Les figures du mois

La figure du mois présente un résultat clé issue d’une recherche, possiblement publiée, d’un.e doctorant.e, post-doctorant.e du champ, sous un format journalistique avec une figure ou illustration ainsi qu’une présentation en 300 mots.

Figurez-vous… que pour les personnes âgées atteintes d’un cancer, la décision de ne pas se soigner ou de s'engager dans les traitements se façonne à l'aune de leur parcours de vie

Figure du mois de mai 2022

"Que faire de ce cancer?"

Deux pôles idéaltypiques entre lesquels se positionnent les personnes âgées malades

Clément DESBRUYÈRES est sociologue de la santé et du vieillissement. Dans sa thèse, il s'intéresse à l’épreuve du cancer à un âge avancé. Il analyse notamment les prises de décision thérapeutiques en oncogériatrie, dispositif médical destiné à adapter les stratégies de traitements à des états de « fragilité ». Car dans ces cas, le cancer cohabite avec d’autres facteurs physiologiques, physiques, cognitifs, mais aussi sociaux et environnementaux, qui peuvent restreindre, voire annihiler le succès d’une chirurgie ou d'un traitement.

Clément Desbruyères s'appuie sur un corpus d’entretiens semi-directifs réalisés auprès d'une cinquantaine de malades, proches et professionnels de santé et sur une enquête ethnographique menée dans deux établissements de santé. Il étudie les différentes formes d’engagement dans les soins contre le cancer, allant d’un engagement actif dans le traitement jusqu’à l’abstention thérapeutique. Il analyse la manière dont les décisions thérapeutiques sont négociées entre malades, proches et professionnels de santé.

Les premiers résultats montrent comment les personnes âgées malades articulent, parfois confrontent, les temps du cancer (diagnostic, soins, traitements) et un temps biographique. Elles mobilisent plus particulièrement deux dimensions de ce dernier : le temps-durée (rapport à l’âge, moment de son cycle de vie, parcours de vie, etc.) et le temps quotidien du vieillir (lié aux situations sociale, familiale, résidentielle, etc.). La mise en balance de ces temporalités façonne les expériences individuelles de l’épreuve du cancer et les décisions de (non-)recours aux traitements. Elle oriente les décisions de santé et de vie, en questionnant « l’utilité » à s’engager pleinement dans une « lutte » contre le cancer, parallèlement aux médecins en oncogériatrie qui, dans leur registre, en questionnent l'efficacité.

Ces premiers résultats invitent les soignants à intégrer davantage ce travail réflexif conduit par les malades dans la co-construction des trajectoires de soin.

Clément DESBRUYÈRES

Doctorant au LABERS, Université de Bretagne Occidentale.

  • Thèse (titre provisoire) : Que faire de ce cancer ? L’épreuve des décisions de soin au temps du vieillir. Co-dirigé par F. Le Borgne-Uguen (LABERS, UBO) et B. Derbez (CRESPPA, Paris 8).

  • Desbruyères Clément, « L'âge et la fragilité dans l'accès aux soins : Covid-19 et oncogériatrie », Gérontologie et Société, 2022, à paraître.

Figurez-vous que… les sites de rencontres pour les « seniors » participent à véhiculer les représentations hégémoniques de la retraite active et du « vieillir-jeune »

©ILVV_Figure du mois_L. Délias_04-2022

Lucie DÉLIAS est chercheuse en Sciences de l’information et de la communication. Elle s’est intéressée, notamment, aux sites de rencontres amicales et amoureuses destinés aux « seniors » et aux pratiques de leurs membres, dans le contexte d'injonctions à la connexion adressées aux plus âgé·e·s.

Sur la base d'un corpus de 26 sites et d’entretiens semi-directifs avec des utilisateurs et utilisatrices âgé·e·s de 62 à 82 ans, Lucie Délias a analysé les services de rencontres et sorties proposés par ces sites, les images et textes présentés ainsi que les outils et fonctionnalités utilisés. Elle montre que les sites construisent une version d’un « bien-vieillir » consistant à conserver les attributs et attitudes des plus jeunes. Les concepteurs composent ainsi avec une position paradoxale qui consiste à cibler un public désigné comme « âgé » (à partir de 50 ans voire 45 ans, tandis que la majorité des utilisateurs et utilisatrices ont entre 60 et 75 ans) dans un contexte socioculturel âgiste, dévalorisant le vieillissement.

En retour, la plupart des membres « jouent le jeu » et composent avec ces injonctions : leur profil se conforme en partie à l’image attendue du « vieillir-jeune », présentant leur « dynamisme », « jeunesse d’esprit », « pratique de multiples activités » dans le but de provoquer plus d’interactions avec les autres membres. Tributaires de représentations âgistes intériorisées, les membres ont aussi tendance à se rajeunir par l'âge déclaré et les photographies affichées, davantage les femmes que les hommes.

Dans l'analyse des liens entre vieillissement et technologie à partir des pratiques ordinaires et quotidiennes des adultes âgé·e·s, cette recherche montre comment ces sites et leur public constituent un lieu de production d'une culture contemporaine du vieillissement, organisée autour de la valorisation du « vieillir jeune ».

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Paul Valéry-Montpellier 3, LERASS (EA 827).

  • Delias, Lucie, (à paraître). « Faire des rencontres en ligne après 60 ans : une expérience informée par l’âge, le genre et le dispositif sociotechnique », dans I. Wallach, J. Beauchamp, et I. Van Pevenage,  La conjugalité et la sexualité en contexte de vieillissement au Québec. Perspectives sociales, Québec, Presses Universitaires du Québec.
  • Delias, Lucie. (2021). « Constructions de la participation en ligne des adultes âgés. Le cas des sites de rencontres amicales et amoureuses ciblant les “seniors” » Recherches en Communication, n°52, p. 155‑76.
  • Delias, Lucie. (2019). L’âge des usages. Usages sociaux des technologies numériques par les adultes âgés et représentation du « bien-vieillir connecté ». Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Sorbonne Nouvelle-Paris 3.

FIGUREZ-VOUS… que les ressources sociales et matérielles du quartier de résidence sont liées à la bonne santé cognitive de ses habitant·e·s

Figure mois de mars 2022 Letellier

Noémie LETELLIER, épidémiologiste, s’intéresse au vieillissement en bonne santé et aux facteurs, notamment sociaux, du fonctionnement cognitif (mémoire, attention, raisonnement, orientation, communication, décision). Les performances cognitives sont sensibles à différentes caractéristiques des personnes ; ici, avec ses collègues, elle s'interroge sur un possible lien avec les ressources socioéconomiques de leur quartier de résidence, avec les données collectées auprès des 44 000 personnes âgées de 45 à 69 ans participant à la cohorte CONSTANCES.

Leurs performances cognitives sont testées et évaluées par des neuropsychologues ; leurs caractéristiques individuelles représentées par des variables du questionnaire : l'âge, le sexe, un indicateur de précarité socioéconomique (insécurité financière, faible accès aux loisirs, faible soutien social) et leur état de santé. Noémie LETELLIER dispose d'un indicateur de "défavorisation" du quartier (basé sur les pourcentages d’ouvriers, bacheliers et chômeurs, le revenu fiscal médian), qui s'avère lié aux commerces, équipements et ressources sociales environnantes. Des modèles statistiques multiniveaux permettent de mesurer s'il existe un lien entre les performances cognitives des personnes et le niveau de "défavorisation" de leur quartier ou si, finalement, seules leurs caractéristiques individuelles comptent.

Ces analyses confirment les inégalités sociales face au fonctionnement cognitif, avec un lien significatif entre performances et niveau de précarité individuel. Elles indiquent ensuite de meilleures performances cognitives dans les quartiers de résidence les moins défavorisés, même en tenant compte des caractéristiques individuelles ; les performances diminuent quand le niveau de défavorisation augmente. Les inégalités entre individus selon leur niveau de précarité se combinent donc avec des inégalités liées aux ressources de leur quartier.

Ces résultats invitent à comprendre l'articulation entre les facteurs personnels et environnementaux du fonctionnement cognitif. En appréhendant leurs interactions, on pourra définir de nouvelles stratégies de prévention pour réduire les inégalités sociales, en s'intéressant aux personnes mais aussi aux ressources disponibles dans leurs quartiers.

    Post-doctorante au Climate Change Epidemiology Lab, University of California, San Diego, Etats-Unis

    • Noémie Letellier, Carrière I, Cadot E, Goldberg M, Berkman L, Zins M, Berr C. Individual and neighborhood socioeconomic inequalities in cognitive impairment: cross-sectional findings from the French CONSTANCES cohort. BMJ Open 2020;10(3):e033751. doi: 10.1136/bmjopen-2019-033751
    • Noémie Letellier. Déterminants sociaux et professionnels de la cognition. Thèse de Santé publique, Environnement et Société. Médecine humaine et pathologie. Université de Montpellier, 2019. 274 pages.

        FIGUREZ-VOUS… que dans les DOM, l'origine sociale et le parcours migratoire jouent différemment sur les chances de vieillir en bonne santé des femmes et hommes âgés

        Figure février 2022_Crouzet

        Risque de déclarer des limitations d'activité associé à différentes dimensions du parcours de vie chez les femmes et les hommes âgés de 60 à 79 ans résidant en Guadeloupe, Martinique ou la Réunion (2009-2010).*

        * Odds ratios issus des régressions logistiques (ajusté sur le groupe d'âge quinquennal et le département). Modèle 1 introduit toutes les variables avec la profession, le modèle 2 remplace la profession par le diplôme, le modèle 3 reprend le modèle 1 avec un focus sur les moins diplômés.

        Maude CROUZET, démographe, analyse la santé des personnes vieillissantes des Départements d'Outre-Mer (DOM). L'histoire des DOM, leur situation socio-économique défavorable et les nombreuses migrations (notamment vers et depuis la métropole) ont induit un vieillissement accéléré et des situations sociales diverses. À partir de l'enquête Migration, Famille et Vieillissement (2009-2010), elle étudie ce qui, dans leurs parcours de vie, a structuré leurs chances de vieillir sans incapacité. Elle mobilise différentes dimensions sociales du parcours : l'origine (profession du père, atmosphère familiale dans l'enfance), le statut migratoire, la situation à l'âge adulte (profession ou diplôme, situation financière).

        La situation à l'âge adulte est, sans surprise, un marqueur de la santé des plus âgés, quel que soit le parcours : une mauvaise situation financière accroit la déclaration d'incapacités ; avoir occupé une profession hautement qualifiée ou atteint niveau d’instruction élevé la réduisent.

        Le statut migratoire des femmes -- natives sédentaires, de retour (qui ont vécu au moins 6 mois consécutifs hors du département) ou non-natives -- n'est pas lié à l'incapacité après ajustement. En revanche, chez les hommes, les non-natifs déclarent plus souvent des incapacités que les autres ; notamment les peu diplômés, qui sont moins souvent métropolitains et davantage isolés que les non-natifs diplômés.

        Enfin, l'origine sociale des Domiens, appréhendée par l'atmosphère familiale dans l'enfance, reste associée à l'incapacité aux grands âges après ajustement sur la situation adulte. Et chez les femmes peu diplômées, au contraire des hommes, cette variable et la profession du père restent des marqueurs importants.

        Les liens entre parcours de vie et santé des résidents ultra-marins diffèrent selon le sexe. Au-delà des ressources, notamment financières, l'histoire migratoire chez les hommes et le milieu d'origine chez les femmes comptent dans les chances de vieillir en bonne santé. Ces conclusions invitent à analyser en détail les contextes de ces territoires, spécifiques sur bien des aspects (familiaux, résidentiels…).

        Source : Enquête Migration Famille Vieillissement. 2009-2010

        Maude CROUZET
        Docteure en Démographie, ATER Université de Strasbourg - Laboratoire SAGE (UMR 7363), Université de Strasbourg

        • Crouzet Maude, 2022, Incapacité et perte d’autonomie des personnes âgées dans les départements d’outre-mer : un enjeu de politique sociale, Thèse de doctorat, Strasbourg, Université de Strasbourg, 344 p.
        • Crouzet Maude, 2018, « Vieillissement et perte d’autonomie aux Antilles et à La Réunion : des situations en outremer contrastées », Espace populations sociétés, 2018/1-2.
        • Crouzet Maude, Carrère Amélie, Laborde Caroline, Breton Didier, Cambois Emmanuelle, 2020, « Différences d’espérance de vie sans incapacité dans les départements français : premiers résultats à partir de l’enquête Vie Quotidienne et Santé », Revue Quételet, 8(1), p. 73‑101.
        • Laborde Caroline, Crouzet Maude, Carrère Amélie, Cambois Emmanuelle, 2020, « Contextual factors underpinning geographical inequalities in disability-free life expectancy in 100 French départements », European Journal of Ageing.
        • Marie Claude-Valentin, Breton Didier, Crouzet Maude, 2018, « Mayotte : plus d’un adulte sur deux n’est pas né sur l’île », Population & Sociétés, 560.

        FIGUREZ-VOUS… que la baisse de la prestation veuvage a eu des effets différenciés sur les revenus des veuves quinquagénaires aux Pays-Bas

        Niveaux et sources des revenus individuels des veuves aux Pays-Bas (3 ans avant et après le décès du mari), selon qu'elles sont exposées ou non à la réforme des prestations veuvage. @ILVV_Tréguier_Rabaté

        Niveaux et sources des revenus individuels des veuves aux Pays-Bas (3 ans avant et après le décès du mari), selon qu'elles sont exposées ou non à la réforme des prestations veuvage.

        Champ : Veuves nées entre 1946 et 1953 dont le mari est mort après 2003, qui n'ont pas d'enfant mineur à charge et qui étaient en âge de travailler (moins de 62 ans) au moment du décès - 2018.
        Source : CBS (Statistics Netherlands). Registres et données administratives, exhaustifs de la population néerlandaise
        Note : Les réversions professionnelles font référence aux pensions de réversion servies au titre des régimes de pensions professionnelles obligatoires (deuxième pilier du système de pensions néerlandais). Elles n'ont pas été impactées par la réforme des prestations veuvage publiques.

        Julie TRÉGUIER et Simon RABATÉ, économistes, s’intéressent aux inégalités de ressources des femmes et des hommes liées aux systèmes de retraite, notamment à leurs dispositifs de droits conjugaux. Ces dispositifs visent à compenser la perte de niveau de vie des veufs/-ves en leur attribuant une prestation suite au décès de leur conjoint·e (ex. pension de réversion) : les bénéficiaires sont majoritairement des femmes et plutôt âgées. Représentant une dépense importante, ces dispositifs sont remis en question : jugés injustes, car financés par tous les cotisants mais à destination des seules personnes mariées, et inadaptés à la diminution de la part des couples mariés. Ils sont aussi jugés inefficaces en ce qu'ils désinciteraient des époux/·ses à travailler. Alors que de nombreux pays ont décidé de baisser la générosité de ces dispositifs voire de les supprimer, on peut s'appuyer sur leur expérience pour évaluer les effets des modifications.

        Julie Tréguier et Simon Rabaté se sont penché·e·s sur le contexte néerlandais : la réforme de 1996 a drastiquement restreint la prestation pour les veuves nées après 1949. Exploitant la discontinuité dans les règles d’éligibilité, ils analysent les niveaux et sources de revenus individuels de veuves quinquagénaires, avant et après le décès du conjoint, selon qu'elles sont soumises ou non aux restrictions (naissances 1950-1953 vs 1946-1949).

        À partir de données administratives, ils montrent que cette réforme a eu plusieurs effets significatifs après le décès : une augmentation des revenus individuels du travail (+23%), via plus d'emploi (+16%) et d’heures travaillées (+8%) et ce davantage pour les profils préalablement éloignés du marché du travail ; une augmentation d'autres prestations (minima sociaux, invalidité) ; au total, une baisse du revenu. Ils mettent ainsi en évidence des implications plurielles et différenciées sur les conditions de vie des veuves, en particulier celles qui contribuaient peu aux revenus du couple.

        Simon RABATÉ

        Julie TRÉGUIER est doctorante à l’Ined et à EconomiX (Université Paris Nanterre).

        Simon RABATÉ est chargé de recherche à l’Ined et chercheur au Central Planbureau, Pays-Bas.

        • Rabaté, S. & Tréguier, J. (A paraître - 2022) 'Labor Supply Effects of Survivor Insurance: Evidence from Restricted Access to Survival Benefits in the Netherlands', CPB Discussion Paper
        • Tréguier, J. & Rabaté, S. (2021), ‘Survivors Benefits and Conjugal Behavior. Evidence from the Netherlands’, EconomiX Working Paper.
        • Bonnet C, Bozio A, Tô M., Tréguier J. (2020) « Évolutions des pensions de réversion : une première approche des effets redistributifs », Retraite et société, vol. 83, no. 1, pp. 21-49.
        • Tréguier, J. Inégalités de genre dans les systèmes de retraite. Thèse en préparation à Paris 10, dans le cadre de EconomiX (laboratoire)

        FIGUREZ-VOUS… que pour un parent en perte d'autonomie, l'absence de coordination de ses enfants augmente le risque de besoins non satisfaits

        @ Probabilité qu'une personne âgée de 60 ans et plus (parent de deux enfants) en perte d'autonomie reçoive l'aide de l'un, des deux ou d'aucun de ses enfants d'après les situations observées et modélisées. J Berget_ILVV_Figurez-vous_2112

        Probabilité qu'une personne âgée de 60 ans et plus (parent de deux enfants) en perte d'autonomie reçoive l'aide de l'un, des deux ou d'aucun de ses enfants d'après les situations observées et modélisées.

        Julien Bergeot, économiste, s’est intéressé à l’aide  apportée à un parent en perte d'autonomie par ses enfants. Son hypothèse est que le volume d’aide reçu au total par le parent et l’adéquation de cette aide avec ses besoins dépendent en partie de la manière dont se coordonnent les enfants.

        À partir de l'enquête CARE (Capacités, Aide et REssources des séniors, volet Ménages), il repère économétriquement les caractéristiques des enfants qui jouent sur le fait d'aider leur parent en perte d'autonomie (âge, sexe, revenus, statut professionnel, santé du parent…). Puis, il construit un modèle théorique de coopération via des hypothèses sur l'effet que peuvent avoir des décisions coordonnées des enfants sur leur propension à aider. Enfin il simule par ce modèle les configurations d'aide théoriques avec ou sans coordination.


        Sur l'exemple des fratries de deux enfants, il confronte les résultats des simulations avec les situations observées en termes de configuration d’aide (par les deux enfants, un seul ou aucun) et de besoins (non-)satisfaits du parent.

        Trois résultats ressortent de ces analyses. D'abord, les situations observées concordent avec les simulations d'absence de coordination. Ensuite, l'absence de coordination augmente la probabilité qu'aucun des enfants n'aide (62% vs 56%) et que lorsqu'il y a une aide, elle provienne d'un seul enfant (72% vs 67%). Enfin, l'absence de coordination réduit les chances que le besoin d'aide du parent soit correctement couvert. Ce travail montre que le défaut de coordination dans la fratrie tend à réduire le nombre d'enfants aidants et à augmenter le risque de besoins non-satisfaits. Face à la difficulté d'inciter à la coordination pour optimiser l’aide reçue par les parents âgés, il s'avère important d'ajuster l'accès à l’aide professionnelle pour améliorer la réponse aux besoins.

        Julien BERGEOT

        Chercheur post-doctorant au LEDa Université Paris-Dauphine PSL
        Page web personnelle

        • Bergeot, J., & Fontaine, R. (2020). The heterogeneous effect of retirement on informal care behavior. Health economics, 29(10), 1101-1116. (lien ici)
        • Bergeot, J., & Tenand, M. (2021). Does informal care receipt delay nursing home entry? Evidence from Dutch linked survey and administrative data. Document de travail Cepremap n°2105. (lien ici)
        • Bergeot, J., & van Soest, A. (2021). Care for Elderly Parents, Siblings' Interactions and Gender. Netspar Academic Series, DP 07/2021-014. (lien ici)

        FIGUREZ-VOUS… QUE DES LOGIQUES DE SOINS HOSPITALIERS REPENSÉES PEUVENT SUSCITER CERTAINES FORMES D'AUTONOMIE JUSQUE DANS LA GRANDE FRAGILITÉ

        @A Camus_ILVV_Figure du mois 2111

        Agathe Camus, philosophe, s’est intéressée aux conceptions de la santé et de l’autonomie mobilisées dans les prises en charges hospitalières de personnes âgées « fragiles » et/ou polypathologiques. Elle a exploré les significations de ces deux notions et la façon dont elles s’entremêlent dans les pratiques et les discours médicaux sur la base d'un matériau empirique récolté lors d’observations de terrain en service hospitalier de médecine interne.

        Appuyé sur la mise en dialogue des conceptions médico-philosophiques des états de santé et de maladie de G. Canguilhem et de K. Goldstein, son travail a montré que les situations de fragilité gériatrique et de polypathologie sont encore largement abordées à l’aune de grilles de lecture qui opposent sans nuance santé et maladie, autonomie et dépendance. Elle suggère alors de redonner une certaine latitude aux patient·e·s dans et par le travail de soin, lorsque l'absence de maladie et l'indépendance fonctionnelle ne sont plus l’horizon. La latitude de vie s’appréhende dans une attention élargie à la vie et à la santé dans toutes leurs dimensions, non seulement biologique mais aussi sociale et existentielle. La visée d’une telle latitude suscite des logiques de soin et d’accompagnement différentes, élargies : « holistiques », elles s'affranchissent d'une approche par pathologie ; plurielles elles étendent les points de vue au-delà de la sphère strictement médicale. Elle a alors déployé une interrogation philosophique montrant comment donner corps à des formes de santé et d’autonomie(s) qui demeurent chez ces patient·e·s, à partir de ce qui leur importe, ce à quoi elles tiennent, aux relations dans lesquelles elles s’insèrent, etc. Ces analyses invitent à repenser les logiques de soins hospitaliers pour davantage intégrer les patient·e·s et celles qui participent à leur quotidien dans les décisions médicales et la prise en charge à l'hôpital.

         

        Agathe Camus, post-doctorante en philosophie, Projet EPIPHINORE n°ANR-20-CE36-0007-01, laboratoire SPHERE UMR 7219, Université de Paris/CNRS

        • Camus, A., « Quelle santé et quelle autonomie à la fin de la vie ? Ressources philosophiques pour une approche plurielle de la santé », dans Sarah Carvallo (dir.), Fins de vies plurielles. Mourir en démocratie, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2021

        • Camus A., Une « certaine latitude ». Santé et autonomie dans la décision médicale et la relation de soin en médecine interne, thèse de doctorat en philosophie sous la direction de Marie Gaille, laboratoire SPHERE UMR 7219, soutenue publiquement à l’Université de Paris le 3 juillet 2019. Disponible sur HAL https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02653546 

        • Camus, A., « Penser ensemble santé et autonomie ? Normativité, latitude de vie et pouvoir d’agir », Strathèse, 7/2018, dossier « Normes et normativités », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg

        FIGUREZ-VOUS… QUE LES RÉSIDENT·E·S DES EHPAD PLACENT LEUR DEVOIR PARENTAL AU CENTRE DE LEURS PRÉOCCUPATIONS À LA FIN DE LEUR VIE

        @ Chopard-dit-Jean - Mère et Fille (ILVV Figures du mois)

         Mère et Fille

        Aurélie Chopard-dit-Jean, psychologue, s’intéresse au vécu des personnes très âgées résidant en établissement d’hébergement, et notamment aux enjeux psychologiques et sociaux de ce vécu à l'approche de la mort.

        Cette recherche s'appuie sur des entretiens réalisés auprès de 37 résident·e·s (19 femmes et 18 hommes) âgé·e·s en moyenne de 88.2 ans, vivant en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en France et en établissements médico-sociaux (EMS) en Suisse.

        Elle montre que l’approche de la mort induit un récit du vécu plus intime et le rôle parental des personnes âgées y trouve une place centrale. Le devoir parental s’exerce jusqu’au bout de la vie, avec angoisse et sérénité. L’angoisse est liée au souhait de vivre le plus longtemps possible pour ne pas abandonner les enfants et continuer à veiller sur elles et eux (particulièrement lorsqu’un·e enfant est malade ou handicapé·e). La sérénité se joue dans l’accomplissement du devoir parental notamment en veillant à l’absence de conflit entre les enfants et leur « bonne » situation familiale, salariale, ou de santé. La sérénité concerne aussi les aspects post mortem à savoir un héritage en ordre et la préparation des rituels funéraires pour décharger les descendant·e·s de l’administratif et l’organisationnel. Cette sérénité participe à l’acceptation de la mort.

        Il ressort de ces entretiens que la parentalité est constitutive de l’identité des individus jusqu’au bout de leur existence et participe grandement à la qualité de la fin de vie. Elle est dès lors une dimension importante pour les professionnel·le·s qui accompagnent les très grands âges. Dans la gestion de la souffrance ou des aspects médicaux, le rôle de parent ne doit pas être minimisé.

        Aurélie CHOPARD-DIT-JEAN , doctorante à l'Université de Lausanne au Centre suisse de compétence en recherche sur les parcours de vie et les vulnérabilités LIVES (Centre LIVES) et à l’Université Bourgogne Franche-Comté, Laboratoire de psychologie EA3188

        • Chopard-dit-Jean, A., Aubry, R., Karcher, P. & Pfrimmer, M.C. (2021). Vivre la fin de sa vie au grand âge dans une société française inclusive : peut-on décider pour soi « jusqu’au bout » ? Les Cahiers francophones de soins palliatifs, 21, 1, 46 - 56.
        • Chopard-dit-Jean, A., Bonnet, M. & Mariage, A. (2020). Apport de l’attachement dans le travail d’élaboration de la mort d’un sujet âgé en établissement d’hébergement. Le cas de Pierre, 90 ans. Annales Médico-Psychologiques. Disponible en ligne le 8 novembre 2020. https://doi.org/10.1016/j.amp.2020.10.009
        • Bonnet, M., & Chopard-dit-Jean, A. (2018). Rôle de l’attachement dans l’accompagnement des personnes âgées. Management & Avenir Santé, 4, 55–72. https://doi.org/10.3917/mavs.004.0055
        • Bonnet, M., Vinay, A., Faivre, B., Chopard, A., & Vulliez-Coady, L. (2016). Spécificité de l’attachement dans le vieillissement ou vieillissement de l’attachement ? L’évolution psychiatrique, 81, 668-680. https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2015.11.010
        • Chopard, A. (2012). Décider de sa vie en EHPAD, Gérontologie et société, 143, 133-136.     https://doi.org/10.3917/gs.143.0133

        FIGUREZ-VOUS… QUE "CONTINUER À VOIR LES COPAINS" EST UN ENJEU MAJEUR DANS L’EXPERIENCE DE LA RETRAITE DES TRAVAILLEURS EN "ESAT".

        @ Delporte - Typologie des expériences de retraite de travailleurs en ESAT (ILVV Figures du mois)

        Muriel Delporte, sociologue, s’intéresse à la façon dont les politiques publiques et les dispositifs institutionnels façonnent les expériences individuelles du vieillissement des personnes en situation de handicap. Elle a étudié l’expérience de la retraite des travailleurs d’ESAT (établissements et services d’aide par le travail), qui ont vécu une imbrication forte du travail, du lieu de résidence et des loisirs.

        À partir d’une centaine d’entretiens auprès de travailleurs en fin d’activité et retraités, de professionnels et de l'entourage, elle montre que l’ESAT est un lieu de sociabilité quasi exclusive : les amis sont toujours des collègues, même si les collègues ne sont pas tous des amis. Le passage à la retraite provoque un découplage violent des différentes sphères de la vie.
         

        L'enjeu est de recréer un équilibre lors de la transition vers la retraite. Ses analyses donnent à voir des expériences contrastées de la retraite en fonction des conditions de la transition. Elle en brosse une description résumée ici en trois vécus (Figure).

        Le maintien des relations amicales joue un rôle essentiel : continuer à « voir les copains » occupe une place centrale dans les discours des retraités. Une transition accompagnée, préservant les relations significatives, va de pair avec un investissement dans de nouvelles activités ou relations (Retraite découverte). A contrario, dans le cas de ruptures brutales, les personnes sont plus enclines à l'insatisfaction dans le présent, au rejet des supports qui s’offrent à elles, à restreindre leurs activités et à exprimer ennui et nostalgie du travail (Retraite perdition). Enfin, une transition qui se prolonge, notamment par des changements de lieu de vie, se traduit par un sentiment d'instabilité qui génère de l’incertitude quant à l'avenir.

        Ainsi, au-delà, de la nécessité d'accompagner la sortie d'activité, cette recherche invite à repenser l’organisation du milieu de travail protégé, notamment en diversifiant les cercles de sociabilité.

        Muriel Delporte, sociologue, chercheure associée CeRIES (Université de Lille) et conseillère technique au CREAI des Hauts-de-France.

        • Delporte, M. (2019). Construction d’une scansion particulière des âges de la vie : les « personnes handicapées vieillissantes » en France, Revue suisse de travail social, p. 108 – 121.
        • Delporte, M. (2019). Les personnes handicapées vieillissantes : une minorité ?, Dequire, A.F., Toulotte, S. (dir.), Minorités et travail social en Europe, Paris, L’Harmattan, collection espaces interculturels, p. 159 – 169.
        • Delporte, M. (2018). « Voir les copains » : un enjeu central dans l’expérience de la retraite des travailleurs handicapés, Giacomini A., Lefebvre P.O. (coord.) Penser les différences dans l'avancée en âge, revue Essentiels amis des aînés France n°8, p. 26 – 28.
        • Delporte, M. (2016). L’épreuve de la retraite en milieu protégé. Les travailleurs handicapés dans la fabrique du vieillissement. Thèse de sociologie menée sous la direction de Vincent Caradec, soutenue publiquement à l’Université de Lille le 13 décembre 2016.
        • Delporte M. (2015). « L’expérience de la retraite des travailleurs handicapés », Vieillir en situation de handicap, Le Sociographe n°52, p. 33 - 44.

        Retrouvez aussi une contribution de Muriel Delporte dans la Lettre d'information de l'ILVV d'octobre 2021.

        FIGUREZ-VOUS… que les habitants de logements dits inclusifs apprécient de se sentir en sécurité mais peinent à s’approprier les espaces partagés.

        © Rapegno et Rosenfelder - Exemple d'habitats inclusifs (ILVV_Figurez-vous)

        Exemple d'habitats inclusifs

        Noémie Rapegno, géographe, et Cécile Rosenfelder, sociologue, se sont intéressées aux habitats dits inclusifs pour personnes âgées et pour personnes handicapées. Ces habitats aux formes variées ont pour ambition de dépasser les limites du domicile, parfois vecteur d’insécurité et d’isolement, et de l’établissement jugé trop contraignant. A partir d’entretiens et d’observations réalisés sur 5 terrains auprès des locataires, de leurs familles et des professionnels, elles ont plus particulièrement exploré la façon dont les principes d’autonomie et de sécurité, au fondement de ces projets, s’articulaient.

         

        Pensés pour donner accès à un logement sécurisant inséré dans la cité, ces habitats proposent une veille en continu assurée par un service à domicile (Figure). Pour certains locataires, et plus encore pour leurs proches, la possibilité d’appeler à tout moment – notamment la nuit – suffit à les rassurer. Pour d’autres, cette présence « à distance » leur permet de se sentir chez eux. Par ailleurs, le travail de sécurisation constitue aussi un travail relationnel qui favorise la lutte contre l’isolement. Cependant, les locataires rencontrent des contraintes liées à la vie en commun et à l’organisation du lieu. Les conflits d’usage et d’appropriation du service mutualisé et des espaces communs sont fréquents. Ces tensions, souvent latentes, difficiles à réguler et à désamorcer peuvent mettre le sentiment du « chez soi » en échec.

        Il en ressort que le partage de certains espaces et d’un même service pose la question d’un droit à une socialité élective, choisie et non imposée, tout particulièrement dans les colocations où les locataires n’ont pas décidé de vivre ensemble. Cela montre la nécessité de réfléchir à la notion de « vie collective et partagée » au cœur de la définition de l’habitat inclusif.

        Cécile ROSENFELDER

        Noémie Rapegno, docteure en géographie, EHESP, Arènes (UMR 6051), chercheure associée au Lab’Urba (EA 3482)

        Cécile Rosenfelder, docteure en sociologie, EHESP, Arènes (UMR 6051)

        Recherche « Inclure et sécuriser : les habitats à visée inclusive et le point de vue des personnes concernées »  menée dans le cadre d’un contrat de recherche gré à gré entre l’Ecole des hautes études en santé publique et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sous la responsabilité scientifique de Marie-Aline Bloch. Rapport à paraître en janvier 2022.

        • Noémie Rapegno, Cécile Rosenfelder. Inclure et sécuriser : exemple d'un dispositif d'habitat pour personnes âgés (rapport intermédiaire n°1). [Rapport de recherche] Ecole des hautes études en santé publique. 2020 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03275109
        • Maïna Le Helley, Noémie Rapegno, Cécile Rosenfelder. Inclure et sécuriser en temps de crise : exemples de dispositifs d'habitat pour adultes ayant un handicap psychique (rapport intermédiaire n°2). [Rapport de recherche] Ecole des hautes études en santé publique. 2020 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03275214
        • Noémie Rapegno, Cécile Rosenfelder. Inclure et sécuriser : exemple d'un habitat pour adultes ayant un handicap moteur (rapport intermédiaire n°3). [Rapport de recherche] ecole des hautes études en santé publique. 2020 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03275179
        • Noémie Rapegno, Cécile Rosenfelder. Inclure et sécuriser : exemple d'un habitat pour personnes âgées (rapport intermédiaire n°4). [Rapport de recherche] Ecole des hautes études en santé publique. 2021 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03275183